Comment parler à ses enfants d’antécédents familiaux de dépendance

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Nous avons rédigé cet article parce que nous sommes convaincus* que l’omerta systématique au sujet de la dépendance à l’alcool ou à la drogue au sein d’une famille peut causer à un enfant un préjudice aussi important que la dépendance elle-même.

Nous y abordons les facteurs génétiques en jeu dans le trouble de consommation de substance (TCS), le moment et la façon d’aborder le sujet des TCS avec un enfant, ainsi que quelques idées et stratégies que les familles ayant des antécédents de dépendance peuvent mettre en œuvre dès maintenant pour créer un foyer plus sain et plus stable.

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Qu’est-ce que la dépendance?

Pour comprendre ce qu’est une dépendance, il faut d’abord en définir les éléments constituants. Selon l'Organisation mondiale de la Santé, pour qu’il y ait dépendance, au moins trois des facteurs ci-dessous doivent être présents:

  • La tolérance – La personne augmente constamment sa consommation de la substance ou son exposition à la substance ou à l'activité nocive.
  • Les symptômes de sevrage – La personne souffre de symptômes de sevrage physiques ou émotionnels (anxiété, irritabilité, tremblements, sueurs, nausées, vomissements) lorsqu'elle cesse de consommer la substance ou de pratiquer l'activité compulsive.
  • Un besoin incontrôlable – La personne s’enivre ou consomme de la drogue en quantité plus grande qu'elle ne le voudrait. Elle boit dans le but de se saouler. Un verre mène souvent à plusieurs. Il lui arrive de regretter d’en avoir trop consommés la veille.
  • Des conséquences néfastes – La personne continue de consommer des substances ou de participer à des activités nocives malgré les conséquences fâcheuses que cela entraîne sur son humeur, son estime de soi, sa santé, son travail ou ses relations.
  • Le temps ou l’énergie investis – La personne consacre beaucoup de temps ou d’énergie mentale à obtenir, consommer ou dissimuler des substances, à planifier des activités connexes et à y participer ou à se remettre des effets de sa consommation. Il lui est déjà arrivé de dissimuler ou de minimiser sa consommation et d’imaginer des combines pour éviter de se faire prendre.
  • Les tentatives de réduire sa consommation – La personne a déjà songé à limiter sa consommation ou son comportement compulsif, mais sans succès.

La dépendance est-elle une histoire de famille?

Il est largement admis dans les ouvrages scientifiques que les problèmes de toxicomanie sont souvent héréditaires; les personnes dont les parents avaient un problème de dépendance sont plus susceptibles d’en souffrir eux aussi au cours de leur vie.

Les enfants de toxicomanes doivent souvent composer avec des prédispositions génétiques, des influences familiales et, dans certains cas, un milieu de vie chaotique. Les enfants d’alcooliques sont désavantagés à cet égard, et les statistiques montrent que la plupart d’entre eux sont destinés à développer un TCS impliquant l’alcool, les drogues ou une combinaison des deux. Cependant, certains jeunes parviennent à surmonter ces obstacles et à vivre sans dépendance. Il est essentiel de définir les risques génétiques et environnementaux auxquels les jeunes sont confrontés et de leur fournir de l’information et de saines capacités d’adaptation.

La dépendance est-elle héréditaire?

Oui. Pour bon nombre d’enfants d’alcooliques, la génétique joue un rôle important et explique la survenue d’un trouble de consommation d’alcool ou d’autres drogues.

Ces enfants sont quatre fois plus susceptibles que les autres de développer un problème d’alcoolisme en raison de leurs gènes; leur risque d’hériter de ces gènes est de 50 à 60 %, et ce, tant pour les garçons que pour les filles (1). Pour d’autres substances, comme la nicotine ou la cocaïne, ce taux peut atteindre 60 à 80 % (2).

En effet, des études sur des jumeaux ont permis de constater que leur similarité en matière de dépendance à l’alcool et à d’autres drogues résulte principalement de facteurs génétiques. Bien que la génétique explique cette prédisposition au développement d’une dépendance, nous devons également reconnaître l’interaction de celle-ci avec des facteurs environnementaux. Il est essentiel d’inculquer à l’enfant que ce n’est pas parce qu’un de ses parents est aux prises avec un TCS qu’il développera lui aussi une dépendance, ni qu’il doit protéger ce parent ou un autre membre de sa famille qui serait toxicomane. Les facteurs génétiques sous-jacents aux troubles d’utilisation de l’alcool ou d’autres drogues signalement simplement la nécessité d’être conscient de ses choix et de faire preuve de prudence. Si vous soupçonnez que votre enfant développe un TCS ou qu’il est déjà aux prises avec ce trouble, parlez-en à votre médecin ou à un autre fournisseur de soins de santé qualifié.

Quel est le bon moment d’en parler avec son enfant?

Selon la documentation publiée par le Conseil canadien de développement social (CCDS), la consommation d’alcool chez les adolescents canadiens dès 12 à 14 ans est encore répandue (3).

Pourtant, tout semble indiquer que plus un jeune est âgé quand il prend son premier verre, moins il est susceptible de développer une dépendance à l’alcool. Une étude a été menée dans le but « d’examiner si le fait de commencer à consommer de l’alcool à un jeune âge augmentait la dépendance précoce à l’alcool et la dépendance chronique récurrente », abstraction faite de la démographie des répondants, de la consommation de drogues illicites et de tabac, de comportements antisociaux précoces, de dépression dans l’enfance et d’antécédents d’alcoolisme familial. Après avoir examiné les données recueillies auprès de 43 093 adultes, les chercheurs ont constaté que les répondants qui « ont commencé à boire avant l’âge de 14 ans étaient plus susceptibles que les autres de manifester une dépendance à l’alcool dans les 10 années suivant leur première consommation. Ils étaient encore aux prises avec une dépendance au cours de l’année du sondage et avaient davantage d’épisodes de dépendance » (4).

Il est largement admis que la consommation d’alcool peut nuire au développement physique et mental d’une personne, en particulier à l’adolescence et au début de l’âge adulte (5). En présence d’antécédents d’abus de drogues ou d’alcool dans sa famille, un enfant doit être mis au courant des risques qu’il court, et ce, avant d’atteindre l’adolescence et de voler de ses propres ailes.

Expliquer à son enfant ce qu’est la dépendance

Cacher la réalité de la dépendance à son enfant risque de nuire à sa compréhension des pressions inhérentes à la vie et de la possibilité que ces facteurs de stress ne lui fassent percevoir l’alcool ou les drogues comme des mécanismes d’adaptation acceptables.

L’enfant doit comprendre également que les dépendances se présentent sous diverses formes, qui n’incluent pas toujours l’alcool ou les drogues. Par exemple, une prédilection pour le jeu et les paris sur ces jeux peut devenir une dépendance si la poursuite de ces activités a des conséquences négatives croissantes sur sa vie. Il sera également important d’aborder les facteurs environnementaux qui risquent de déclencher l’envie d’utiliser des substances. Les pressions qu’exercent un divorce, un décès, les études, la sexualité et les relations entre pairs, si elles sont intériorisées, peuvent entraîner des sentiments intolérables que l’adolescent, par ses propres ressources, ne peut apaiser et qui le poussent à chercher un exutoire. L’enfant devrait également connaître les facteurs génétiques et environnementaux sous-jacents aux TCS et les raisons qui entraînent certaines personnes vers la dépendance alors que d’autres s’y soustraient, même si elles y sont génétiquement prédisposées.

Ce que doivent savoir les familles ayant des antécédents de toxicomanie

Voici les deux éléments clés que nous avons relevés dans les ouvrages universitaires concernant les enfants ayant des antécédents familiaux de dépendance :

1.Il faut déceler tôt les signes de dépendance au sein de la famille et jouer un rôle actif et compatissant en tentant de résoudre le problème par la thérapie ou l’intervention. Qu’il s’agisse d’un membre adulte de la famille qui manifeste un TCS ou d’un enfant qui commence à consommer de l’alcool ou d’autres drogues, il est important d’aborder immédiatement et ouvertement le sujet plutôt que de tenter de le cacher au reste de la famille. S’il s’agit d’un jeune enfant, prenez les mesures nécessaires pour le protéger des évènements traumatisants entourant la toxicomanie et si possible, faites preuve de compassion à l’égard de la famille.

2.Recherchez de l’aide (Al-anon, Alateen) si vous êtes aux prises avec un problème de dépendance ou si vous êtes un proche d’une personne ayant un TCS. Une famille ne peut guérir ou résoudre seule la dépendance génétique. Cela demande une intervention externe, même si le membre de la famille impliqué refuse de participer à un programme de rétablissement.

Comment aborder le sujet de vos antécédents familiaux de dépendance, et aller de l’avant

Ces dernières années, les chercheurs ont décelé de nombreux gènes susceptibles de constituer un risque de dépendance à l’alcool et à d’autres drogues, notamment ceux qui règlent le métabolisme de l’alcool et la transmission et la modulation de l’activité et des signaux cellulaires nerveux. Ces découvertes pourraient un jour nous aider à comprendre les TCS et les moyens de les prévenir, mais il demeure que nous ne pouvons pas actuellement maîtriser la génétique au point de bannir cette prédisposition héréditaire.

Cependant nous pouvons, en tant qu’individus, familles et collectivités, cerner les risques génétiques de l’alcoolisme et de la toxicomanie et, par conséquent, mieux orienter la personne et modifier les conséquences de ses décisions. Il est important d’exercer ce type de vigilance à la maison, et de développer des compétences d’adaptation saines et productives pour surmonter une prédisposition génétique à la dépendance, surtout lorsque des enfants sont en cause.

Commencez ces conversations tôt, en tenant compte de l’âge de l’enfant et de sa compréhension de la dynamique familiale relativement à la dépendance et au rétablissement, et soulignez l’importance de la transparence vis-à-vis des autres membres de la famille, des médecins, des groupes de soutien par les pairs (Alateen/Al-Anon) et des thérapeutes avec qui l’enfant peut en venir à être en contact en raison des antécédents de toxicomanie dans sa famille.

* Dans ce document, le masculin est employé comme genre neutre.


Médiagraphie (disponible en anglais seulement)

1. « The Behavioral Genetics of Alcoholism ». Matt McGue. 1999. https://journals.sagepub.com/doi/10.1111/1467-8721.00026

2. Twin Studies Help Define the Role of Genes in Vulnerability to Drug Abuse. Patrick Zickler. National Institute on Drug Abuse. 1er novembre 1999. https://archives.drugabuse.gov/news-events/nida-notes/1999/11/twin-studies-help-define-role-genes-in-vulnerability-to-drug-abuse

3.The Progress of Canada’s Children and Youth, 2006. Canadian Council on Social Development. 2006. https://www.ccsd.ca/resources/ProgressChildrenYouth/pdf/pccy_2006.pdf

4. Age at Drinking Onset and Alcohol Dependence. Age at Onset, Duration, and Severity. Ralph W. Hingson. JAMA Pediatrics. Juillet 2006. https://jamanetwork.com/journals/jamapediatrics/fullarticle/205204

5.Youth and Alcohol. Canadian Centre on Substance Use and Addiction. 2014. https://www.ccsa.ca/youth-and-alcohol-lrdg-summary