Dépendance et rétablissement : témoignages d’anciens patients de Homewood

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Quand on a vécu avec la toxicomanie et eu le courage de se faire traiter, les efforts qu’on a faits pour surmonter les obstacles nous enseignent généralement des leçons et nous font acquérir une expérience de vie qui peuvent être utile à d’autres qui se trouvent dans une situation semblable ou qui ignorent les défis relatifs à la dépendance.

Fait intéressant, les deux impressions les plus fréquemment mentionnées à la suite d’une cure sont les suivantes : 1) l’importance du rôle de la famille dans le rétablissement du toxicomane et 2) l’effet rédempteur de l’apprentissage de la science de la toxicomanie.

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Dans cet article sont publiés les témoignages d’anciens patients de Homewood qui ont généreusement accepté de nous faire part de leurs découvertes le long de leur parcours vers le rétablissement de leur dépendance. Nous y lirons également le point de vue du Dr Michael Berry, directeur clinique au Centre Ravensview de Homewood Santé à Victoria (Colombie-Britannique), un spécialiste qui aide ses patients à se rétablir et à rester sobres. Des témoignages fournis avec honnêteté et transparence peuvent faire renaître l'espoir et aider d'autres personnes qui en sont peut-être au début de leur rétablissement ou qui connaissent un revers en cours de route.

Les liens familiaux

Comme d'autres maladies, la dépendance peut avoir un effet profond sur la vie quotidienne du toxicomane, mais aussi sur celle des membres de sa famille et autres êtres chers. Une certaine complexité caractérise la participation de ces derniers au rétablissement du toxicomane : d’une part, ils ont souvent une grande influence sur sa décision du patient de se faire traiter; d’autre part, ils ont besoin de se renseigner sur la toxicomanie en tant que maladie et d'être bien conseillés afin de comprendre que le rétablissement est un processus qui dure toute la vie.

La recherche a montré l’importance du stress comme facteur de risque et catalyseur d’« activation » d’une dépendance (1). Vivre avec un membre de la famille aux prises avec une dépendance peut bouleverser la dynamique des relations familiales, ce qui « stresse souvent la famille jusqu'au point de rupture » sous l’emprise grandissante de la dépendance sur leur vie (2). Tout comme la personne toxicomane utilise une substance addictive comme l'alcool pour calmer sa souffrance, les membres de sa famille peuvent sans le savoir adopter « certains modèles de comportements dysfonctionnels » pour faire face à la dépendance de leur proche, et participer ainsi à l’« écosystème de la dépendance ».

M. Berry souligne l'importance que les programmes résidentiels de Homewood accordent à l'exploration de ces types de réactions au stress au sein de la famille et aux interactions qu'ils favorisent dans le cadre du rétablissement. « Il y a le toxicomane, le facilitateur (ou complice), le “ gardien de la paix ” et le mouton noir pour n'en nommer que quelques-uns », dit-il. Il poursuit en décrivant un modèle populaire et très pratique utilisé pour aider ses patients, un diagramme de réseau social qui « place le toxicomane au centre, puis distribue autour de lui ses êtres chers dans des cercles concentriques plus ou moins rapprochés selon leur proximité affective. Cela aide les gens à visualiser les relations, la dynamique et les vulnérabilités qui les entourent afin de les aider à « faire la paix et faire des choix »

James, un ancien patient de Homewood qui, en juin dernier, a célébré sa quatrième année de sobriété, nous parle du profond désir qu’il avait de guérir de son alcoolisme, mais de sa peur de le faire. Une combinaison d’« ultimatum » de son employeur, d’incitation de sa petite amie à l'époque (maintenant sa femme) et de son père l'a amené à s’inscrire au programme :

« Je m'étais présenté au travail, mais je n'aurais pas dû être là. Ma copine subissait un stress immense, tout en étant facilitatrice de mon alcoolisme. Mon employeur m'a dit que je devais me faire traiter immédiatement, parce je ne pouvais pas faire mon travail de premier intervenant de façon sécuritaire, et bien qu'il ait été patient jusque-là à mon égard, mon emploi était dorénavant en jeu. Ainsi, même si l’idée de m’absenter pendant trente jours me faisait peur, j'ai accepté d'aller à Homewood. Ma copine m'a assuré qu'elle veillerait à tout à la maison, que je ne devais pas hésiter, « juste y aller! » Ça été très dur. Elle était soulagée que je me fasse enfin traiter, mais elle a pleuré tous les soirs qu’a duré mon absence. Le jour de mon départ, j’ai dû avouer mon alcoolisme à mes parents, parce que j'avais besoin d’eux pour me rendre à Homewood. J'étais terrifié à la pensée de leur réaction. Le personnel de Homewood a passé deux heures avec mon père, à lui parler de la toxicomanie et à lui expliquer que c'était une maladie et comment allait se dérouler mon rétablissement tant que je serais disposé à y participer. Cela lui a vraiment ouvert les yeux et l'a aidé à comprendre mon état.

J'ai suivi un traitement pendant trente-cinq jours, et une grande partie du travail que j'ai effectué m'a fait apprécier la valeur des témoignages des autres. J'ai pu inviter mes parents à des pique-niques, et je me suis donné à fond à toutes les activités afin de tirer le maximum de mon expérience. Pour la première fois de ma vie, j'ai appris à parler aux gens que j’aime, et à les écouter. Homewood offre certainement les meilleures thérapies de groupe que j'aie jamais connu. Les témoignages d'autres premiers intervenants que nous avons visionnés sur vidéo m'ont fait comprendre que je n'étais pas seul et qu'il y avait moyen de m’en sortir. On aurait dit que toutes les bonnes personnes étaient aux bons endroits au bon moment pour moi. Ce séjour m’a permis de réorienter ma vie et de dire adieu à l’alcool et au stress. C'était le début d'un travail ardu qui m'a aidé à apprendre à être responsable de moi-même

M. Berry croit en la nécessité des conférences familiales pendant toute la durée d'un traitement résidentiel. Ces conférences permettent d’aborder la question du blâme que les personnes touchées par la toxicomanie ressentent souvent. Ces rencontrent mettent l'accent sur la façon dont le rétablissement traite la personne de façon holistique plutôt que de ne traiter que sa maladie, une distinction importante qui fait ressortir les influences biologiques et environnementales inhérentes à la toxicomanie. De plus, l'alcoolisme peut être héréditaire et les enfants de toxicomanes passent plus rapidement à travers les étapes menant à la dépendance. Mieux connaître la science de la toxicomanie aide généralement toutes les personnes concernées à faire progresser le rétablissement

La dépendance est une maladie

Il est essentiel de reconnaître que la dépendance est une maladie causée par « une combinaison de facteurs comportementaux, environnementaux et biologiques » qui modifient effectivement le cerveau (3).Et si M. Berry convient de l’existence de liens génétiques démontrés par la recherche (certaines études montrent que « les facteurs génétiques comptent pour environ la moitié du risque qu'une personne développe une dépendance »), il travaille plutôt sur un modèle où la prédisposition génétique d'une personne est souvent activée par le stress (4). Ce modèle est étroitement lié aux éléments neurobiologiques du cerveau qui sont à l'affût de récompenses (par le biais de substances créant la dépendance) pour obtenir soulagement et satisfaction.

L’effet des drogues sur le cerveau

Les drogues ou alcools toximanogènes influent sur les neurotransmetteurs du cerveau en imitant les substances chimiques qui y sont produites naturellement. Or, ces substances chimiques ne sont pas des copies exactes de celles produites naturellement par le cerveau. Ces imposteurs très efficaces n'envoient pas les mêmes messages que leurs pendants naturels. Et chaque substance affecte à sa manière différentes parties du cerveau. Par conséquent, le cerveau reçoit des « messages faussés » par une sorte de jeu téléphonique perverti, et parfois un trop grand nombre de messages « suractivent » les circuits qui perturbent la pensée, et les substances chimiques naturelles du cerveau peinent alors à reprendre le dessus (5).

Avec le temps et l’usage, ces substances modifient le cerveau parce qu’elles activent la partie de celui-ci qui recherche le plaisir et libère la dopamine en stimulant le circuit de la récompense. Le cerveau réagit favorablement à cette « information importante dont il doit se rappeler » et facilite ce rappel en changeant les connexions neuronales, formant une habitude. Ce sont ces « fortes poussées de dopamine » provoquées par l'abus de substances qui « enseignent au cerveau à chercher la drogue au détriment d'autres quêtes ou activités plus saines »

Débarrasser l’organisme des substances toximanogènes qui imitent les substances chimiques produites naturellement par le cerveau est essentiel au rétablissement, mais aussi très dangereux si ce n'est pas fait correctement. Gillian, une ancienne patiente de Homewood, nous parle du combat qu’elle a livré toute sa vie avec la toxicomanie et en quoi le fait de ne pas avoir reçu le bon type d’aide dès le début avait nui à son rétablissement.

« J'ai eu des problèmes de santé physique et émotionnelle pendant plus de trente-cinq ans. Très jeune, on m'avait prescrit de la morphine pour un douloureux problème de santé. Je passais jusqu'à quatre jours par mois à l'hôpital. Le reste du temps, je consommais de l'alcool. Un jour j’ai décidé de me libérer de ma toxicomanie, et j’ai fait appel à Homewood pour obtenir de l'aide. Mais j’avais peur. Après deux jours, j'ai supplié mon mari de venir me chercher et de me ramener à la maison. Le quatrième jour, j'ai fait une crise d’épilepsie. Mais après cinq semaines de traitements, j'en avais fini avec la morphine. Malheureusement, je me suis remise à boire trois mois plus tard. Je commençais dès le matin et m’endormais, saoule, en début de soirée. Je ne mangeais pas de la journée, mais je me réveillais affamée et j'essayais de manger un morceau. Je me disputais souvent avec mon fils. Trois ou quatre mois plus tard, j'ai décidé que je ne pouvais plus continuer ainsi, alors je suis retournée à Homewood. Cette fois, je me suis donnée à fond. Cela fait maintenant huit ans que je suis sobre. Après avoir évalué mon état de santé, mon nouveau médecin avait ordonné un examen complet de mes médicaments, et m’avait fait cesser de les prendre. J'ai passé douze jours à l'hôpital, très malade. J'ai perdu 14 kg en 7 semaines et me suis mise à avoir des crises de panique et d'anxiété. La seule chose qui ne me rendait pas malade était les deux substituts de repas liquides que je prenais par jour. Mon corps se désintoxiquait ».

La science continue de nous fournir différentes façons de traiter la dépendance, soit avec de nouvelles formes de thérapie aversives, comme des doses à long terme de médicaments implantées sous la peau d'un patient qui le font vomir s’il consomme de l’alcool, soit avec de nouveaux médicaments susceptibles d’empêcher les gens « de céder à des déclencheurs invisibles » (6).Bien que cette recherche soit intéressante et, dans certains cas, prometteuse, M. Berry soutient que la combinaison de traitement pharmacologique, de psychothérapie (comme la thérapie cognitivo-comportementale) et d’autres thérapies telles que l'art, l'horticulture et la musicothérapie, peuvent produire les meilleurs résultats chez bon nombre de gens. Ce modèle est fondé sur le principe de Homewood, qui consiste à traiter toute la personne et pas seulement la maladie Gillian convient qu'une approche holistique est meilleure à long terme. « L'alcool, c’est beaucoup plus que simplement boire; une pilule ne changerait rien pour moi. Les solutions rapides sont faciles mais pas les plus efficaces, et elles ne m'aident pas à effacer les ruines de mon passé »

Un modèle de rétablissement durable

Le rétablissement est un processus qui dure toute la vie et demande des efforts. La dépendance n’est pas un choix, mais le rétablissement l’est, lui. Le rétablissement ouvre la possibilité d’améliorer son travail, ses finances, sa vie familiale et sa santé et emprunte « bon nombre de moyens différents... y compris des traitements professionnels, un soutien informel et des groupes de soutien »(7).

James et Gillian soulignent avec emphase la grande utilité des nombreux soutiens offerts, notamment Alcooliques Anonymes (AA). Pour James et Gillian, le fait de s’ouvrir aux autres et de raconter leur histoire continue de représenter une partie importante de leur parcours de rétablissement. Prévoir et connaître l’origine probable d’une rechute éventuelle permet à James de parer aux difficultés et de ne pas se stresser à ce sujet. Il a adopté de nombreux outils appris chez Homewood et les AA, comme rester en contact avec son parrain, tenir un journal, gérer son temps et avoir une vie mieux réglée.

M. Berry convient qu'un plan d'action doit couvrir un vaste éventail de stratégies visant à « mettre l'accent sur la volonté de vivre une vie intéressante, gratifiante et épanouissante qui a un sens et un but ». Il va sans dire que si ces éléments manquent et la personne ne s’intéresse pas aux activités de la vie parce qu’elle est trop prise par sa dépendance, ses efforts n’aboutiront pas.

Les éléments fondamentaux d'un plan de rétablissement de la toxicomanie (8)

  1. Conservez votre enthousiasme envers votre rétablissement et votre traitement.
  2. Vaquez à vos activités quotidiennes, elles vous aideront à rester dans la bonne voie.
  3. Préparez une feuille de route en cas de rechute, comprenant :
    a.la liste de vos éléments déclencheurs;
    b.la liste des outils susceptibles de vous aider à garder les deux pieds bien sur terre lorsque vous êtes stressé ou faites face à un déclencheur;
    c.la liste des personnes de votre réseau de soutien à qui vous devriez faire appel.
  4. Avant tout, prenez soin de vous-même et ayez des fréquentations saines, et n'oubliez pas de souligner toutes vos réalisations, si minimes soient-elles.
    a.Évitez le négativisme et posez-vous les vraies questions.
    b.Cela peut signifier devoir changer d'emploi.
    c.Demandez-vous si vous mettez tout en œuvre pour atteindre votre but et si vous vous sentez soutenu.
    d.Continuez de suivre vos programmes de rétablissement.

Votre rétablissement peut également vous obliger à remettre en question des relations qui ne sont pas saines et à faire des choix nécessaires au sujet de certaines fréquentations que vous devriez modifier, ajuster ou éviter. « Cela exige de tenir des conversations souvent difficiles. Cela peut parfois se faire dans le cadre de la thérapie, mais parfois aussi hors de celle-ci », dit M. Berry.

Gillian reconnaît la difficulté de cette démarche. Elle vit avec son mari, un premier intervenant, dans une collectivité où l'alcool est présent dans presque toutes les activités. « Nous passons en voiturettes de golf devant des copropriétés où les gens passent leur temps à l'extérieur, un verre à la main », dit-elle. Même son mari pense qu'il devrait diminuer sa consommation d’alcool, mais il n'est pas encore prêt à le faire. Voilà l'une des choses les plus difficiles pour moi; je dois constamment faire face à des rappels et à ces déclencheurs, littéralement à ma porte. Grâce à mon traitement chez Homewood, je reconnais ces vulnérabilités, mais vois également en quoi différents aspects des programmes dont j’ai bénéficié au fil des ans pourraient aider les personnes qui me sont chères : mes voisins, mon mari, mes enfants. Elle réussit à demeurer sobre en acceptant les règles du rétablissement, en prenant la vie une minute à la fois et en ne se laissant pas gagner par le stress. Elle se rend compte que son but ne se réalisera pas du jour au lendemain et continue à assister à des réunions quotidiennes axées sur le rétablissement et à pratiquer sa foi afin de mieux relever les défis présents dans son milieu de vie. Elle cherche également à se remettre au bénévolat et à s’impliquer davantage dans l’aide aux ex-toxicomanes afin d'accomplir des choses dont elle pourra être fière.

De son côté, James suit une formation pour devenir agent de soutien certifié en vue d’aider d’autres premiers intervenants à faire face avec courage à leur propre situation et à leur dépendance. Il a parlé de la pression qu’exerçait sur lui la culture au sein de sa profession, où on retrouve un grand nombre de personnalités fortes et dominantes, avec lesquelles il n’est pas toujours facile de composer. « C’est un milieu parfois difficile, mais j'essaie d'être la meilleure version de moi-même », dit-il. Il le fait pour lui-même, mais aussi pour sa femme et leurs deux petites filles. Ce qu'il fait différemment maintenant, c'est de parler à tous avec franchise de sa toxicomanie, et de vivre des expériences et situations positives à la maison, aux AA et au travail.

M. Berry rappelle que l’indulgence, l'autocompassion, la compréhension du concept du blâme et la capacité d’assumer ses responsabilités dans chacun de ses actes doivent tenir une place primordiale dans tout plan de rétablissement, étant donné que « si on n’est pas seul responsable de tous ses problèmes, on est toutefois responsable de leurs solutions ».

References


  1. Heshmat, Sharhram, Ph.D. (10 mai 2017). « Stress and Addiction », Psychology Today. Article consulté le 19 juin 2019 sur le site https://www.psychologytoday.com/ca/blog/science-ch...
  2.  Alvernia University (s.d.), Coping With Addiction: 6 Dysfunctional Family Roles. Article consulté le 19 juin 2019 sur le site https://online.alvernia.edu/infographics/coping-wi...
  3. Centre on Addiction (s.d.) « Addiction As A Disease: The Disease Model of Addiction ». Centre on Addiction website. Article consulté le 19 juin 2019 sur le site https://www.centeronaddiction.org/what-addiction/a...
  4. Centre on Addiction (s.d.) « Addiction As A Disease: The Disease Model of Addiction ». Centre on Addiction website. Article consulté le 19 juin 2019 sur le site https://www.centeronaddiction.org/what-addiction/a...
  5. National Institute on Drug Abuse (s.d.) Drugs and the Brain. Drugs, Brains and Behaviour: The Science of Addiction. Article consulté le 19 juin 2019 sur le site https://www.drugabuse.gov/publications/drugs-brain...
  6. Smith, Fran. (2017) « How Science Is Unlocking the Secrets of Addiction ». National Geographic Magazine, Online. Article consulté le 19 juin 2019 sur le site https://www.nationalgeographic.com/magazine/2017/0...
  7. Le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS). (2019) « La vie en rétablissement de la toxicomanie au Canada ». Rapport technique. Article consulté le 19 juin 2019 sur le site https://ccsa.ca/fr/la-vie-en-retablissement-de-la-...
  8. Futures Recovery Healthcare (2018, October 29). « 10 Tips For Creating A Sustainable Addiction Recovery Plan ». Creating An Addiction Recovery Plan after Rehab. Article consulté le 19 juin 2019 sur le site https://futuresrecoveryhealthcare.com/knowledge-ce...